Le corridor canadien de l’IA prend de la maturité: L’écosystème de l’IA au Canada 2018

Bienvenue dans cette édition — qu’on pourrait maintenant qualifier « d’annuelle » — du portrait de l’écosystème de l’IA au Canada. Et ce fut toute une année!

Consultez le rapport complet ici. Le rapport vient également alimenter l’excellent répertoire de recherche Canada.ai.

L’idée derrière ce portrait était d’insister sur la force potentielle d’un écosystème de l’IA Canadien, par rapport à celui d’une seule ville. Cette année, nous avons vu nos liens se renforcer, mais nous avons aussi mis en lumière certaines faiblesses. La vision qui se dessine est celle d’un corridor de villes, chacune remarquable à sa façon, qui s’unissent pour former un ensemble cohérent dont la taille et l’influence n’ont rien à envier aux écosystèmes de la côte est américaine, de Paris ou de Londres.

Si on emprunte la terminologie de Startup Genome (dans [Startup] Ecosystem Lifecycle Model), l’écosystème canadien de l’IA est actuellement en voie de passer de la phase de « mondialisation » à la phase d’« expansion ».*

  • Activation : Peu de démarrages d’entreprises, expérience locale limitée et ressources déficientes/siphonnées par d’autres pôles.
  • Mondialisation : Quelques sorties réussies commencent à attirer les ressources internationales; présence accrue de startups; les organisations et institutions bien établies commencent à tisser des liens avec l’écosystème mondial.
  • Expansion : Multiplications des sorties importantes et des entreprises « licornes »; le bassin de ressources devient mondial et le nombre de startups atteint un seuil critique et un rythme constant de succès.
  • Intégration : Équilibre avec les autres écosystèmes importants; solidification du rythme d’émergence des « licornes » et intégration avec l’économie plus large pour maintenir la compétitivité.

Source: Startup Genome

Cette transition est alimentée par une combinaison de facteurs, notamment un investissement public de 4 milliards de dollars en recherche fondamentale sur les cinq prochaines années, qui permettra d’assurer l’infrastructure des connaissances dont se nourrit le reste de l’écosystème canadien. Cet investissement a été annoncé en réponse au Rapport Naylor, qui a mis en lumière l’importance cruciale de maintenir l’avantage historique du Canada en matière de recherche fondamentale. Ces investissements à long terme en recherche fondamentale permettent des percées majeures comme, notamment, l’apprentissage profond.**

Une proportion importante de ce financement alimente nos laboratoires d’IA à travers le pays. Comptant sur plusieurs dizaines d’années d’expérience en recherche de pointe, ils reconnaissent l’importance de concentrer ces investissements sur les efforts interdisciplinaires qu’exige la technologie. Ces groupes, comme l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal (MILA) et l’Institut Vecteur, sont devenus avec les temps des organisations totalement indépendantes, ce qui leur permet de penser et d’agir globalement.

L’importance de ces organisations explique la présence de plusieurs acteurs internationaux majeurs dans l’écosystème de l’IA, qui a presque triplé au cours de la dernière année. AI Labs de Google, Facebook, Amazon, DeepMind, Samsung, Uber, Huawei et Oracle, entre autres, amènent avec elles des ressources considérables, ce qui exerce aussi une certaine pression sur les ressources humaines. [Pour en savoir plus, consultez le rapport complet.]

Les grands laboratoires internationaux : un couteau à deux tranchants

Au départ, l’arrivée de grands laboratoires à Montréal était un jalon important. C’était le signe d’un ralentissement — voire d’un renversement — de la fuite des talents vers Silicon Valley. Mais si nous ne restons pas prudents, la situation pourrait en fait se retourner contre nous et siphonner nos ressources vers Silicon Valley.

Globalement, ces laboratoires nous ont apporté la crédibilité et ont rendu notre écosystème plus attirant pour les investisseurs internationaux. Jusqu’ici, leur présence a été positive pour notre processus de maturation et a contribué à mousser le profil de l’IA en attirant notamment quelques visites du premier ministre. Par contre, n’oublions pas que la propriété intellectuelle (pratiquement impossible à imposer) qu’ils créent sera siphonnée directement vers Silicon Valley, et ce, sans avantage fiduciaire pour le Canada. Ultimement, l’arrivée de gros joueurs ne doit en aucun cas nous empêcher de mettre l’accent sur les startups locales.

À moyen terme, ce sont les startups en croissance (celles avec plus de 25 employés) qui mèneront l’écosystème à maturité. Ce sont ces entreprises qui pourront faire concurrence aux grands laboratoires pour attirer les talents et capitaliser sur l’intérêt international. Les startups en démarrage (moins de 25 employés) comptent également sur les startups en croissance pour faire office de « tampons » par rapport aux grands laboratoires. Sans un équilibre concurrentiel regroupant une variété de startups à différentes étapes de croissances, nous perdons nos champions locaux et nous risquons d’étouffer les startups de demain.

Renforcer l’attraction des talents

L’endroit le plus important où nous devons concentrer nos efforts est l’attraction des meilleurs talents à l’échelle internationale (note : on parle des individus et non pas des organisations). Les taux de diplomation dans les universités ne suffiront pas à répondre à la demande.

Jusqu’à maintenant, nous avons maintenu un bassin de talent adéquat grâce en partie à l’immigration. Sur le plan de l’attraction des talents, le nombre de laboratoires indépendants d’IA canadiens travaillant sur des projets importants, de concert avec le pouvoir d’attraction intrinsèque du Canada, a permis au pays de rester concurrentiel face à Silicon Valley. Mais ce sont nos politiques d’immigration progressives qui ont permis d’ouvrir nos portes pour leur permettre de venir s’installer ici.

Aujourd’hui, il est plus facile que jamais pour les personnes éduquées et ambitieuses de venir travailler au Canada. La stratégie en matière de compétences mondiales, mise en branle en novembre dernier, a réduit à deux semaines le délai de traitement d’une application de visa pour la main-d’œuvre de calibre mondial (comparativement au délai de 18 mois pour un visa H1B1 aux États-Unis). Mentionnons aussi la superbe politique du permis de travail automatique de trois ans accordé à tous les étudiants étrangers qui obtiennent leur diplôme universitaire au Canada.

C’est un aspect critique pour l’industrie de l’IA. Notre rapport interne sur les talents a permis d’identifier seulement environ 20 000 experts de l’IA à travers le monde. Même si nous avions la chance d’attirer tous ces gens au Canada, nous aurions amplement de travail pour chacun d’eux ET nous continuerions d’embaucher tous les étudiants en IA à leur sortie de l’université.

Nous devons continuer à favoriser l’immigration pour élargir et maintenir la croissance de notre bassin de talents.

Relier le corridor canadien de l’IA

Les villes canadiennes ne peuvent pas compléter seules leur processus de maturation. Il y a deux semaines, 25 pays membres de l’Union européenne ont reconnu qu’ils ne pouvaient pas faire cavalier seul face aux défis de l’IA et devaient s’unir pour partager leurs ressources et leurs projets. Au Canada, nous avons besoin d’une volonté nationale — nous devons bâtir davantage de ponts. Nous avons toléré de saines rivalités entre nos villes, notamment Toronto et Montréal, mais nous arrivons à un point où cette concurrence interne fait plus de mal que de bien. Les autres pôles de taille similaire, comme Londres, Paris et New York, ont l’avantage d’être intégrés, tandis que les pôles canadiens ont des forces complémentaires. La force de Toronto est le financement; Montréal et Waterloo ont la recherche; Ottawa et Québec sont axées sur les politiques.

Notre grand désavantage, dont on parle peu, est la géographie. De quatre à cinq heures pour faire le trajet Montréal-Toronto en train, c’est trop long. Les études menées par VIA Rail pour la création d’une ligne ferroviaire dédiée au corridor Windsor-Québec est un premier pas intéressant. Ce corridor comprend cinq des sept villes-pôles couvertes dans notre rapport (Waterloo, Toronto, Ottawa, Montréal et Québec). Cette ligne ferroviaire pourrait potentiellement permettre aux trains de circuler jusqu’à 177 km/h, avec des départs à toutes les 45 minutes, ce qui réduirait le temps de déplacement par 25 %. Allons de l’avant avec ce projet et restons visionnaires. Imaginez les possibilités d’un voyage Toronto-Montréal en 30 minutes par système de transport par tube ou train à grande vitesse.

Le modèle d’un écosystème mieux connecté permet d’envisager la capacité de transmettre des actifs entre les villes et de favoriser la croissance de plusieurs groupes, et non seulement ceux à l’intérieur d’un seul pôle. L’IA a des répercussions partout dans l’économie et doit être vue comme un développement multidisciplinaire. La portée requise pour ce genre d’effort interfonctionnel est difficile à réaliser. Nos institutions auront besoin de temps pour s’adapter et nous devons leur donner ce temps. Mais l’attente sera moins douloureuse si nous favorisons dès maintenant la collaboration en ouvrant les frontières de notre pays et de nos villes.

Remerciements spéciaux à : Yoan Mantha, Simon Hudson, Ahyoung Lee, Amanda Durepos, Wei-Wei Lin, Caroline Bourbonniere et Genevieve Jacovella Remillard pour leurs efforts et contributions à ce document

*Ce modèle évalue les écosystèmes globaux des startups. Par conséquent, on peut considérer que l’ampleur de chaque phase pour un écosystème de l’IA sera nécessairement plus petite que les paramètres établis par Startup Genome.

**Ces investissements à long terme favorisent aussi directement l’émergence d’une nouvelle génération de startups canadiennes à haute valorisation. La dernière année a vu plusieurs entreprises en IA clore des rondes de financement de plus de 100 millions de dollars. Globalement, le nombre de startups en IA a augmenté de 28 %.

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